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.Connais-tu ces frissons, cette horreur, ce vertige,Toi, l autre aigle de l autre azur ? Je suis, lui dis-je,L autre ver de l autre tombeau.Au dolmen de la Corbière, juin 1855. 423 XIX.Voyage de nuitOn conteste, on dispute, on proclame, on ignore.Chaque religion est une tour sonore ;Ce qu un prêtre édifie, un prêtre le détruit ;Chaque temple, tirant sa corde dans la nuit,Fait, dans l obscurité sinistre et solennelle,Rendre un son différent à la cloche éternelle.Nul ne connaît le fond, nul ne voit le sommet.Tout l équipage humain semble en démence ; on metUn aveugle en vigie, un manchot à la barre,À peine a-t-on passé du sauvage au barbare,À peine a-t-on franchi le plus noir de l horreur,À peine a-t-on, parmi le vertige et l erreur,Dans ce brouillard où l homme attend, songe et soupire,Sans sortir du mauvais, fait un pas hors du pire,Que le vieux temps revient et nous mord les talons,Et nous crie : Arrêtez ! Socrate dit : Allons !Jésus-Christ dit : Plus loin ! et le sage et l apôtreS en vont se demander dans le ciel l un à l autreQuel goût a la ciguë et quel goût a le fiel.Par moments, voyant l homme ingrat, fourbe et cruel,Satan lui prend la main sous le linceul de l ombre.Nous appelons science un tâtonnement sombre.L abîme, autour de nous, lugubre tremblement,S ouvre et se ferme ; et l Sil s effraie égalementDe ce qui s engloutit et de ce qui surnage.Sans cesse le progrès, roue au double engrenage,Fait marcher quelque chose en écrasant quelqu un. 424 Le mal peut être joie, et le poison parfum.Le crime avec la loi, morne et mélancolique,Lutte ; le poignard parle, et l échafaud réplique.Nous entendons, sans voir la source ni la fin,Derrière notre nuit, derrière notre faim,Rire l ombre Ignorance et la larve Misère.Le lys a-t-il raison ? et l astre est-il sincère ?Je dis oui, tu dis non.Ténèbres et rayonsAffirment à la fois.Doute, Adam ! nous voyonsDe la nuit dans l enfant, de la nuit dans la femme ;Et sur notre avenir nous querellons notre âme ;Et, brûlé, puis glacé, chaos, semoun, frimas,L homme de l infini traverse les climats.Tout est brume ; le vent souffle avec des huées,Et de nos passions arrache des nuées ;Rousseau dit : L homme monte ; et de Maistre : Il descend !Mais, ô Dieu ! le navire énorme et frémissant,Le monstrueux vaisseau sans agrès et sans voiles,Qui flotte, globe noir, dans la mer des étoiles,Et qui porte nos maux, fourmillement humain,Va, marche, vogue et roule, et connaît son chemin ;Le ciel sombre, où parfois la blancheur semble éclore,À l effrayant roulis mêle un frisson d aurore,De moment en moment le sort est moins obscur,Et l on sent bien qu on est emporté vers l azur.Marine-Terrace, octobre 1855. 425 XX.RelligioL ombre venait ; le soir tombait, calme et terrible.Hermann me dit : Quelle est ta foi, quelle est ta bible ?Parle.Es-tu ton propre géant ?Si tes vers ne sont pas de vains flocons d écume,Si ta strophe n est pas un tison noir qui fumeSur le tas de cendre Néant,Si tu n es pas une âme en l abîme engloutie,Quel est donc ton ciboire et ton eucharistie ?Quelle est donc la source où tu bois ? Je me taisais ; il dit : Songeur qui civilises,Pourquoi ne vas-tu pas prier dans les églises ? Nous marchions tous deux dans les bois.Et je lui dis : Je prie. Hermann dit : Dans quel tem-ple ?Quel est le célébrant que ton âme contemple,Et l autel qu elle réfléchit ?Devant quel confesseur la fais-tu comparaître ? L église, c est l azur, lui dis-je ; et quant au prêtre& En ce moment le ciel blanchit.La lune à l horizon montait, hostie énorme ;Tout avait le frisson, le pin, le cèdre et l orme,Le loup, et l aigle, et l alcyon ;Lui montrant l astre d or sur la terre obscurcie,Je lui dis : Courbe-toi.Dieu lui-même officie, 426 Et voici l élévation.Marine-Terrace, octobre 1855. 427 XXI.SpesDe partout, de l abîme où n est pas Jéhovah,Jusqu au zénith, plafond où l espérance vaSe casser l aile et d où redescend la prière,En bas, en haut, au fond, en avant, en arrière,L énorme obscurité qu agitent tous les vents,Enveloppe, linceul, les morts et les vivants,Et sur le monstrueux, sur l impur, sur l horrible,Laisse tomber les pans de son rideau terrible ;Si l on parle à la brume effrayante qui fuit,L immensité dit : Mort ! L éternité dit : Nuit !L âme, sans lire un mot, feuillette un noir registre ;L univers tout entier est un géant sinistre ;L aveugle est d autant plus affreux qu il est plus grand ;Tout semble le chevet d un immense mourant ;Tout est l ombre ; pareille au reflet d une lampe,Au fond, une lueur imperceptible rampe ;C est à peine un coin blanc, pas même une rougeur.Un seul homme debout, qu ils nomment le songeur,Regarde la clarté du haut de la colline ;Et tout, hormis le coq à la voix sibylline,Raille et nie ; et, passants confus, marcheurs nombreux,Toute la foule éclate en rires ténébreuxQuand ce vivant, qui n a d autre signe lui-même 428 Parmi tous ces fronts noirs que d être le front blême,Dit en montrant ce point vague et lointain qui luit :Cette blancheur est plus que toute cette nuit !Janvier 1856. 429 XXII.Ce que c est que la mortNe dites pas : mourir ; dites : naître.Croyez.On voit ce que je vois et ce que vous voyez ;On est l homme mauvais que je suis, que vous êtes ;On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fêtes ;On tâche d oublier le bas, la fin, l écueil,La sombre égalité du mal et du cercueil ;Quoique le plus petit vaille le plus prospère ;Car tous les hommes sont les fils du même père ;Ils sont la même larme et sortent du même Sil.On vit, usant ses jours à se remplir d orgueil ;On marche, on court, on rêve, on souffre, on penche, ontombe,On monte.Quelle est donc cette aube ? C est la tombe.Où suis-je ? Dans la mort.Viens ! Un vent inconnuVous jette au seuil des cieux.On tremble ; on se voit nu,Impur, hideux, noué des mille nSuds funèbresDe ses torts, de ses maux honteux, de ses ténèbres ;Et soudain on entend quelqu un dans l infiniQui chante, et par quelqu un on sent qu on est béni,Sans voir la main d où tombe à notre âme méchanteL amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante.On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent 430 Fondre et vivre ; et, d extase et d azur s emplissant,Tout notre être frémit de la défaite étrangeDu monstre qui devient dans la lumière un ange.Au dolmen de la tour Blanche, jour des Morts, novembre1854. 431 XXIII.Les magesIPourquoi donc faites-vous des prêtresQuand vous en avez parmi vous ?Les esprits conducteurs des êtresPortent un signe sombre et doux
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