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.On dirait des événements blancs qui n’arrivent pas à concerner vraiment celui qui les provoque ou les subit, même quand ils le frappent dans sa chair : des événements dont le porteur, un homme intérieurement mort, comme dit Lumet, a hâte de se débarrasser.Dans « Taxi Driver » de Scorsese, le chauffeur hésite entre se tuer et faire un meurtre politique, et, remplaçant ces projets par la tuerie finale, s’en étonne lui-même, comme si l’effectuation ne le concernait pas plus que les velléités précédentes.L’actualité de l’image-action, la virtualité de l’image-affection peuvent d’autant mieux s’échanger qu’elles sont tombées dans la même indifférence.En troisième lieu, ce qui a remplacé l’action ou la situation sensori-motrice, c’est la promenade, la balade, et l’aller-retour continuel.La balade avait trouvé en Amérique les conditions formelles et matérielles d’un renouvellement.Elle se fait par nécessité, intérieure ou extérieure, par besoin de fuite.Mais maintenant elle perd l’aspect initiatique qu’elle avait dans le voyage allemand (encore dans les films de Wenders), et qu’elle conservait malgré tout dans le voyage beat (« Easy Rider » de Dennis Hopper et Peter Fonda).Elle est devenue balade urbaine, et s’est détachée de la structure active et affective qui la soutenait, la dirigeait, lui donnait des directions même vagues.Comment y aurait-il une fibre nerveuse ou une structure sensori-motrice entre le chauffeur de « Taxi Driver » et ce qu’il voit sur le trottoir par le biais d’un rétroviseur ? Et, chez Lumet, tout se passe en courses continuelles et en allers et retours, à ras de terre, dans des mouvements sans but où les personnages se comportent comme des essuie-glaces (« Un après-midi de chien », « Serpico »).C’est en effet le plus clair de la balade moderne, elle se fait dans un espace quelconque, gare de triage, entrepôt désaffecté, tissu dédifférencié de la ville, par opposition à l’action qui se déroulait le plus souvent dans les espaces-temps qualifiés de l’ancien réalisme.Comme dit Cassavetes, il s’agit de défaire l’espace, non moins que l’histoire, l’intrigue ou l’action12.En quatrième lieu, on se demande ce qui maintient un ensemble dans ce monde sans totalité ni enchaînement.La réponse est simple : ce qui fait l’ensemble, ce sont les clichés, et rien d’autre.Rien que des clichés, partout des clichés.Le problème s’était déjà posé avec Dos Passos, et les nouvelles techniques qu’il instaurait dans le roman, avant que le cinéma y ait songé : la réalité dispersive et lacunaire, le fourmillement de personnages à interférence faible, leur capacité de devenir principaux et de redevenir secondaires, les événements qui se posent sur les personnages et qui n’appartiennent pas à ceux qui les subissent ou les provoquent.Or, ce qui cimente tout cela, ce sont les clichés courants d’une époque ou d’un moment, slogans sonores et visuels, que Dos Passos appelle, de noms empruntés au cinéma, « actualités » et « œil de la caméra » (les actualités, ce sont les nouvelles entremêlées d’événements politiques ou sociaux, de faits divers, d’interviews et de chansonnettes, et l’œil de la caméra, c’est le monologue intérieur d’un tiers quelconque, qui n’est pas identifié parmi les personnages).Ce sont ces images flottantes, ces clichés anonymes, qui circulent dans le monde extérieur, mais aussi qui pénètrent chacun et constituent son monde intérieur, si bien que chacun ne possède en soi que des clichés psychiques par lesquels il pense et il sent, se pense et se sent, étant lui-même un cliché parmi les autres dans le monde qui l’entoure13.Clichés physiques, optiques et sonores, et clichés psychiques se nourrissent mutuellement.Pour que les gens se supportent, eux-mêmes et le monde, il faut que la misère ait gagné l’intérieur des consciences, et que le dedans soit comme le dehors.C’est cette vision romantique et pessimiste qu’on retrouve chez Altman ou chez Lumet
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